Dans une ambiance « country » et un suspense insoutenable, la Magerotte a tenu toutes ses promesses. Malgré un été de sécheresse, les coureurs ont du affronter les éléments pour venir à bout de la classique la plus champêtre de la saison !
Temps de cochon
Première difficulté de la journée, la pluie s’abat comme vache qui pisse sur l’étable qui fait office de départ. Un facteur inattendu puisque selon les prévisions, les coureurs allaient « passer à travers » les averses. Inattendu, mais déterminant. Dès les premiers coups de pédale, le verglas d’été* fait des ravages au sein de pelotons encore solidement regroupés, causant quelques valpartij et de multiples abandons.
Parmi les premières victimes du déluge se trouve Thomas Vanderstraeten (Grolla). Contraint à l’abandon sur chute, le taureau du Rouge Cloitre se retrouve sur la paille. Au sens propre comme au figuré, puisque sa corne en carbone s’est brisée dans l’aventure. Il lui faut une nouvelle monture.
Heureusement sans gravité, les chutes auront pesé sur l’ensemble de l’épreuve. Si l’abandon de Haenecour en Pro Tour (EF) ou les déboires de Melin (Duvel) et Chevalier (Nénu) en Continental attirent l’attention, c’est bien le courage et la ténacité de l’ensemble du peloton qu’il faut saluer à l’issue de cette classique qui restera dans les anales. Effort, vélo, passion.
*Verglas d’été: chaussée glissante causée par de fortes pluies suivant une période de sécheresse. Les crasses et la poussière longtemps immobilisées se déversant sur les routes dans de petits torrents extrêmement glissants. Terme très en vogue au sein du peloton BCF lors de l’après-course à la ferme des Rabanisses.
« I am just a farmer’s son from Belgium »
À l’image des larmes d’Yves Lampaert (Quick Step – Alpha Vinyl) après sa victoire au chrono d’ouverture du Tour de France, l’émotion était palpable auprès des vainqueurs lors de la remise des prix dans l’étable des taureaux. Tandis que Lampi rappelait au monde ses origines avec son célèbre « I am just a farmer’s son from Belgium« , le peloton BCF lui rendait hommage avec une cérémonie très « agricole ».
Favoris dans leurs catégories, les vainqueurs du jour ont fait honneur à leur statut. En Women Pro Tour, Lucarain (Zinneukeuses) s’est muée en cheval de trait dans les labourés de la Magerotte. Plus à l’aise sur les parties accidentées de l’épreuve, Juju attend ses adversaires (Troostembergh – Dérailleuses, Berger et Cuvelier – Lotto-Soutard) au sommet des ascensions afin de vivre les émotions d’une vraie course, ensemble et jusqu’au bout. Après une ultime attaque, elle finit par s’imposer en solitaire. Chapeau Madame.
« C’est la classique où j’ai ressenti le plus de sensations de course. »
Géraldine Cuvelier, Lotto-Soutard
Contrairement à ce qui avait été annoncé, la lutte pour la gagne ne s’est pas résumée à un affrontement Spoel Brothers vs. Chevalier. Attaqué dès le kilomètre zéro par les frérots de la CK, Chevalier répond coup sur coup. Mais malgré le soutien héroïque des lieutenants Paquot et Dallas, les attaques successives font craquer un Chevalier qui ne parvient plus à enclencher le galop. Un grand classique, à la Jumbo-Visma vs. Pogacar, qui permet au frère cadet (Guilaume) de s’imposer à l’arrivée. Derrière, les places d’honneur sont trustées par Melin (Duvel), Pigeolet (GO font DUVEL’o), Paul Spoel, Slayce (Brussels Unchained) et Houdmont (2nd Sess).
En Pro Tour, Miguel Vanden Bogaert (Café Longchamps – VAN RYSEL) rappelle à ses adversaires qu’il a une moissonneuse batteuse dans chaque jambe. En partant seul à 10km de l’arrivée, VDB revisite un autre grand classique du cyclisme: WVA version Nieuwsblad dans le Bosberg. Il ne sera plus revu et remporte sa première classique après le National 2021. Depuis les Rabanisses, il ferme la bouche à tous les haters, douteux sur ses capacités à s’imposer en peloton.
« Je suis parti ‘gros plateau’ au pied de l’avant-dernière ascension. Quand je me suis retourné, j’ai vu qu’ils étaient à la limite. Je me suis dit qu’il fallait continuer à bloc jusqu’au bout… »
Miguel Vanden Bogaert, Café Longchamps – VAN RYSEL
Qui part avec Stas, perd sa place
Comme expliqué dans nos colonnes, un des enjeux de la classique consistait à chiper le trône de Paul Asselberghs (K7), grand absent de la classique. Au départ, trois hommes pouvaient rêver en bleu en cas de bons résultats Pro Tour: Haenecour (EF), Stas et Jardon (Grolla). Malheureusement, une chute à la mi-course brise les ambitions du premier. Haenecour a le blues et devra se contenter de voir la vie en rose avec ses équipiers d’Epilation First.
Dans la roue de VDB, futur vainqueur, il reste donc deux Grolleux. Conscient de l’opportunité qui s’offre à lui (terminer dans le top 3 lui assure le bleu), Stas ne prend plus de risques. Tandis que Jardon, diminué après une énième chute dans le peloton de tête, panse ses plaies. Au bout du compte, les maillots bariolés de la Grolla prennent respectivement les 2e (+49sec) et 3e place (+1min20) de l’épreuve.
Arnaud Stas, plus grand collectionneur de maillots du peloton, ajoute donc le bleu à sa garde robe (623 points). Mais rien n’est encore joué ! Asselberghs (2e, 610 points) garde son sort entre les mains puisqu’il est assuré de repartir avec le maillot en cas de victoire dans le Condroz. Même Jardon (3e, 588 points) peut espérer devenir le premier coureur à remporter deux fois le maillot bleu (après 2020). Pour Haenecour en revanche, le titre s’éloigne probablement pour de bon (4e, 525 points). À moins d’une énorme défaillance des 3 premiers.
En Continental, la situation est familiale. Après la victoire de Guillaume et la 4e place de Paul, les Spoel caracolent en tête du classement bleu. À égalité parfaite ! 688 points chacun après 4 classiques et un Grand Tour, c’est historique. Les repas familiaux devraient rester amicaux … du moins jusqu’au 15 octobre.
Bien accrochée à sa tunique bleue, Clarisse Van Belleghem ne risquait pas de la perdre en Women Pro Tour, malgré son absence à la Magerotte. Mais attention de ne pas crier victoire trop vite. L’écart se resserre avec ses plus proches concurrentes Troostembergh (Dérailleuses) et Vercauteren (Lotto-Soutard).
Aaaaah, qu’est-ce qu’on est serré !
Mais il n’y a pas que sur le bleu que le suspense est total pour cette fin de saison. C’est notamment le cas pour le classement par équipe. En Men Pro Tour, la lutte reste terrible tandis que les points reviennent toujours en surnombre pour la K7 et la Grolla. Malgré une excellente moisson sur les champs Magerotte, les Grolleux ne parviennent toujours pas à accrocher leur objectif de la saison. Ils se rapprochent à 79 dents de la K7 (5718 vs 5797 points).
Pour conserver cet avantage, la K7 avait opté pour une stratégie des segments. Ils ne placent dès lors qu’un seul coureur dans le top 40 du général (Junqué, à sa 13e place habituelle). Tandis qu’au départ, les autres rejoignaient un troupeau de taureaux prêts à rugir sur les sprints intermédiaires. Un champs de bataille sur lequel Yak, le buffle Domo Farm Frites, n’était pas prêt à lacher du lest. Ce combat de coq donna lieu à quelques échanges virulents à l’arrivée dans la basse-cour de la ferme des Rabanisses. Furieux, Nicolas Tilmant (K7) voit « vert » suite à un litige sur le sprint de la Carrière. Rappelant aux coureurs des deux formations que, malgré leur rapprochement amical ces dernières saisons, ils n’ont pas élevé les cochons ensemble.
Il faut dire pour que pour la DFF aussi la tension était palpable. Les fritiers se maintiennent sur la 3e marche du podium par équipe grâce à un écart de 20 points avec leurs poursuivants Immo Hendrix – Sud Motor (4233 vs. 4213). Dans les autres hémisphères continentaux et Women Pro Tour, la hiérarchie collective semble toutefois plus installée pour le reste de la saison.
Aux rayons des maillots distinctifs aussi, beaucoup de choses peuvent encore se passer. Mais paradoxalement, c’est le maillot du combiné (rassemblant le plus grand nombre de points) qui apparait le plus indécis. En Women Pro Tour, la bataille se jouera entre Troostembergh et Van Belleghem. En Continental, les 4 fantastiques (Spoel, Melin, Pigeolet, Chevalier) peuvent encore rêver de revêtir la tenue OMER. en cas de performances homériques le 15 octobre.
En Men Pro Tour, Asselberghs (1160 points) conserve le combiné pour à peine … 9 points d’avance sur ses poursuivants de Walque (IHSM) et Jardon (Grolla). Les deux coureurs occupent la deuxième place à égalité parfaite, 1151 points chacun. À Rochefort, de Walque avait pourtant mis tous ses oeufs dans le même panier en se laissant décrocher. Avec son compère Willocx dans la combine, les deux hommes partent à la chasse du combiné. L’objectif, une opération saute-mouton au classement de la saison. Mais dans une campagne humide, il faut faire attention de ne pas mettre la charrue avant les boeufs. En voulant cultiver tous les segments, de Walque s’est un peut-être un peu grillé. Il ne récolte que 46 pois rouges et finit à la 7e place du combiné du jour. Loin derrière ses concurrents pour le maillot multicolore.
La vache qui rit
C’est bien connu. À travers les galères, les tempêtes et la pluie, la vache demeure impassible. Dans les meilleurs cas, elle rit parfois. Ce fut le cas des coureurs les plus combatifs de la classique des roches.
Chez les girls, deux coureuses auraient certainement mériter ce trophée. Il s’agit de Joséphine de Mevius et de Juliette Toussaint (8L). Malgré un entrainement un peu perturbé ces dernières semaines, les deux coureuses bouclent le parcours complet en queue de peloton. Mais certainement pas en queue de boudin ! À l’instar de Jacques Chirac qui débarquent dans une ferme de Corrèze, elles arrivent aux Rabanisses en se disant: « C’est loin, mais c’est beau !« .
Malgré cet exemple de panache et de courage, le jury des commissaires décide d’attribuer le prix de la plus combative à Kirstyn Byrne (Jeannekes). Accompagnée de sa comparse Héloise Dubois, Kiki choisit le parcours long et en bave sur les côtes ardennaises. Elle repart avec le prix de la combativité et 60 points bleus dans la besace.
Chez les continentaux, l’attribution était tout aussi complexe tant les efforts pour rejoindre l’arrivée de la part de nombreux coureurs victimes de chutes étaient remarquables. Le prix aurait ainsi pu être attribué à Thibault Firre (US Carte Postale) qui chute lourdement au kilomètre 18 et repart avec deux pizzas sur le visage et sur la cuisse. Le choix du jury s’est finalement porté sur Gaspard Dehaspe (INS Cycling Team). Le baroudeur a pensé abandonner au moment de sa deuxième chute dans les 20 premiers kilomètres de l’épreuve. C’est finalement dans la douleur, mais par amour de l’effort et avec la fierté du maillot qu’il se relève pour rejoindre l’arrivée dans les délais. Il rapporte ainsi le premier maillot distinctif de l’histoire à sa formation.
En Pro Tour, le prix aurait facilement pu être attribué à l’increvable Arnaud Hendrix (Zafi Fahrbar). Affamé de bitume et de sensations, le leader maison retarde son départ à l’étranger pour prendre le départ à Rochefort. Résultat, il remonte en selle aux Rabanisses avec une deuxième sortie de 250km le jour-même. Il dort ensuite 4 heures avant de repartir pour 111km afin d’arriver à temps pour un mariage à Rouen. WTF ?
Le jury aurait aussi pu célébrer la hargne du débrouillard Kies (Bicyket), qui casse puis remonte son pédalier à la main, avant d’aller taper des KOMs sur les segments grimpeurs. Mais c’est finalement le jusqu’au-boutisme et le panache de Felix Morel (ING Limal Moving Store) qui est salué. En terminant premier de son groupe (4e du général), le jeune coureur réalise le meilleur résultat de sa carrière et offre à son équipe toute la lumière qu’elle mérite. Pourtant lâché dans les derniers kilomètres par Malvaux et Hendrix (Zafi – Farhbar), Morel conserve son tempo. En arrivant à la ferme, il ne devine pas qu’il passe la ligne en tête (les Zafi s’étant trompé sur l’itinéraire). Un moment vélo d’anthologie pour le coureur et son directeur qui le suit dans la voiture.
Aiguille dans une botte de foin
Vous l’avez compris, la fin de saison s’annonce palpitante et la bataille sera totale sur tous les segments et dans tous les pelotons ! Pour miser sur le bon cheval, il faudra avoir le nez fin. Alors qu’au sein des écuries on se prépare à remonter une dernière fois sur la selle, Bonneville Wielrennen Magazine vous l’annonce: il y aura encore des surprises !