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Le Duel de la semaine: Farr v/s Erpicum

Le 21 octobre, Arnaud « Turs » Farr et Baptiste Erpicum se livreront une guerre fratricide sur les pentes de la Magerotte. Pour les deux coureurs de la formation AIS-Erpicum, cette dernière classique représente la grande finale d’un défi qui s’est dessiné il y a 18 mois, au sommet du col des Genévriers. Le jour où tout a basculé. Récit d’une des plus grandes rivalités du peloton.

De l’ombre à la lumière

Issu du ventre très mou du peloton Continental, Farr et Erpicum terminent respectivement 40e et 51e d’un Tour des Vosges où ils auront davantage mis en exergue leur excellente descente que leur qualités de grimpeurs. Mais pris par l’euphorie qui entoure la fin d’un Grand Tour, les deux équipiers se lancent un défi. Sportif cette fois: terminer devant l’autre sur le plus de classiques BCF en 2023. L’enjeu ? La supériorité éternelle sur son rival et une soirée all-in financée par le perdant qui ne pourra rien, absolument rien, refuser au gagnant.

Pour les deux hommes, c’est la bascule. Le cyclisme ne sera plus jamais comme avant. Une véritable course à l’armement, et un réel changement de vie, s’amorce entre les deux amis.

Arnaud Farr au sommet du Col des Genévriers. La fin d’un Tour. Le début d’une nouvelle ère.

Hockeyeur de formation, Erpicum avait jusqu’alors toujours considéré le vélo comme une activité sportive occasionnelle qu’il pratique principalement sur les courses BCF. Mais au retour des Vosges, il range son stick et annonce une retraite anticipée à la surprise générale de son vestiaire.

Footballeur depuis sa tendre enfance, Farr n’a d’autres choix que de répondre coup sur coup à Erpicum. Au grand dam des supporters, il démissionne de son poste de latéral gauche ABSSA. Désormais, les deux amis n’auront plus qu’un seul sport. Le cyclisme.

Erpicum enchaine avec l’achat d’un tout nouveau vélo, de nouvelles roues et d’un home trainer dernier cri. Obligé de réagir, Farr se munit à son tour d’un rouleau compresseur flambant neuf. Le décors est planté, la préparation peut commencer. La guerre est déclarée.

Rouleau jeunesse

Avec leur nouveau joujou, Farr et Erpicum passent le plus clair de l’hiver au sous-sol. Dans la pain cave, ils enchainent les tours de roues, réapprovisionnent la nappe phréatique bruxelloise de leur sueur et offrent, grâce au watts développés, une réelle alternative à la crise énergétique de l’année.

Les semaines passent et se ressemblent pour les deux hommes qui s’entrainent dans le plus grand secret. Si Erpicum prend soin de masquer toutes ses activités pour ne pas éveiller les soupçons de son adversaire, les kilométrages de Farr fuîtent sur la chat interne de l’équipe. À la fin février, le Dauphin de Beersel caracole déjà à plus de … 1000 km. Tous parcourus devant son poste de cyclisme virtuel.

Avec une telle préparation, les résultats ne se font pas attendre. La forme des deux hommes impressionnent les coéquipiers lors des premières sorties printanières. Et les réactions sont dithyrambiques.

Mais malgré une préparation similaire, les deux hommes n’ont pas exactement le même profil une fois sur la selle. Si Farr a davantage l’étoffe d’un grimpeur, Erpicum est connu pour ses qualités de rouleur. Une nuance de taille au regard du profil des classiques au calendrier de la saison.

Voici les classiques retenues pour le « défi du siècle » :

  1. Routes des Moines
  2. Tour du Jura – Étape du Terroir
  3. Tour du Jura – Étape du Doubs
  4. BXL Tour
  5. La Magerotte

SHOW TIME

Le National confirme la forme étincelante des garçons. Et c’est le couteau entre les dents qu’il s’apprêtent à en découdre lors du premier rendez-vous sur la Route des Moines. Mais à quelques jours de l’échéance, coup de tonnerre. Arnaud Farr est contraint d’abandonner suite à l’arrivée quelque peu précoce de son premier enfant. Tel WVA sur le Tour, Turs connaissait les risques et s’était préparé à interrompre sa préparation pour rejoindre la maternité. La première explication aura donc lieu plus tard. Lors de l’étape du Terroir, en plein Tour du Jura !

Au départ de l’étape du Terroir, Erpicum a recueilli les conseils des plus grands pour espérer s’imposer.

Sur la route des vins, la tension est palpable au sein du grupetto. Si le maillot jaune se joue devant, c’est au sein de ce groupe de 25 coureurs que va se dessiner la vraie bataille de la journée. Dans les quelques ascensions catégorisés, le Dauphin de Beersel montre qu’il est le plus à l’aise. « J’avais des jambes de feu » commentera-t-il à l’arrivée. De son côté, Erpicum fait l’accordéon en queue de peloton, mais s’accroche avec panache et profite des portions roulantes pour se refaire la cerise. « Il a sucé les roues toute la journée« , lancera encore Farr après l’étape.

Farr semble en tout cas avoir les clefs de la course. Le détonateur est prêt, reste à savoir quand l’activer. Dans la côte de Chateau-Chalon, il hésite. Il pourrait creuser un bel écart sur les 4 bornes d’ascension. Mais avec 20 derniers kilomètres face au vent, la fin d’étape sera très dure. Alors, il attend. Insolent de facilité, il constate les dégâts sur l’organisme de son adversaire à chaque fois que la route s’élève. Il a l’avantage, c’est certain.

Conscient des qualités de rouleur d’Erpicum, Farr préfère malgré tout éviter le scénario d’une arrivée au sprint en sa compagnie. À 3km du but et au détour d’une bosse non catégorisée, il décide de partir. Seul. Il sait très bien ce qu’il lui reste à faire. Un effort soutenu de 5 minutes à puissance maximale. Un effort comme il en a fait des centaines dans sa cave cet hiver. Mais derrière, le peloton s’agite sous l’impulsion d’Erpicum qui pousse ses compagnons de route à partir à la poursuite du Dauphin de Beersel.

À l’approche de l’arrivée, Farr voit l’écart sur ses poursuivants fondre à chaque virage. Il jette tout ce qu’il lui reste dans la bataille. Il se retourne. Une fois, deux fois. Trois fois. Trop de fois ! Il doute. Et puis, il craque. À 200 mètres de la ligne, il est réglé par un grupetto au sein duquel Erpicum ne lui accorde pas un regard. Mais bien un rictus diabolique qui hantera Farr encore de longues années. La science de la course et l’expérience d’Erpicum ont vaincu les jambes de feu d’un Farr désabusé. C’est 1-0.

Farr Away

Si Erpicum célèbre et que Farr fulmine, les deux hommes doivent rapidement se reconcentrer. Car la deuxième manche a lieu le lendemain, sur l’étape reine du Tour du Jura. 90 kilomètres pour 1700 mètres de dénivelé positif et une arrivée spectaculaire au sommet du terrible col du Fort Saint-André.

Sur papier, le profil correspond davantage au style d’Arnaud Farr. Mais depuis la défaillance de la veille, la confiance semble avoir changé de camp. Peu importe, Turs connait ses qualités et ne compte plus jouer à la roulette russe jusqu’à l’arrivée. Dès l’ascension du Prix Michel Sabourin, il accroche le bon groupe et impose un rythme infernal à son coéquipier qui ne peut pas suivre. Sans trop se soucier du rétroviseur, Farr poursuit l’étape à bloc jusqu’au pied du Fort. Dans l’ascension, il réalise un véritable numéro et franchit la ligne avec plus de 10 minutes d’avance sur son meilleur ennemi. Arnaud bat baptiste et baptise le lieu à son nom. Bienvenue au Farr Saint-André. C’est 1 partout.

Road to Magerotte

Avec une égalité parfaite au marquoir, le duo quitte le Jura en bons ennemis et se fixe rendez-vous dans la capitale de l’Europe pour le BXL Tour. Mais le jour de l’épreuve, les rues de Bruxelles sont plus glissantes que le carrelage de leur cave après une partie de home trainer trop arrosée. Monsieur de Massol, directeur sportif de la formation AIS-Erpicum, juge que les conditions sécuritaires ne sont pas réunies pour lancer les garçons dans la bagarre. Les coureurs prendront le départ, mais la classique est exclue du défi qui les oppose. Sportivement, Erpicum accepte la proposition malgré un parcours qui, sur papier, semblait davantage correspondre à son profil de coureur. Tout se jouera à la Magerotte !

En attendant le dénouement de cette saison hors du commun, le guerre des nerfs se poursuit par message interposés entre les deux coureurs. Ci-dessous, quelques morceaux choisis issus du chat de la formation.

Bros before pros

Pour intensifier encore davantage la pression, l’épilogue de la Magerotte s’inscrit dans une période houleuse pour la formation continentale. La bande à Hertogh se prépare à vivre un mercato ultra tendu où l’avenir cycliste de certains coureurs pourrait basculer.

Selon des sources proches du dossier, la fédération aurait même reçu une candidature de fusion entre les formations historiques La Dalle et AIS-Erpicum. Une opération impliquant la création de trois entités: une dream team Pro Tour, accompagnée d’une équipe continentale et d’une équipe régionale. Si l’idée a fait son bout de chemin auprès des deux formations, elle ne fait en revanche pas l’unanimité. Comme en témoigne ce courrier anonyme reçu par notre rédaction.

Derrière ces discussions se cacheraient des tensions internes au sein d’AIS-Erpicum quant à l’implication de certains coureurs sur le vélo. Pointés du doigt pour leur absence presqu’absolue depuis le National, l’ex-maillot rose Philippe Ricquier et le Lion des Flandres Nicolas Stockbroeckx sont au coeur de la tourmente. En coulisse, on dit le champion de Flandres très remonté et décidé à rappeler à ses détracteurs qu’on ne réalise pas le KOM sur le secteur de Lovenjoel sur une moto, mais bien avec de solides cuissots. Tous les amateurs de cyclisme rêvent en tous les cas de voir le Leeuw briller sur la dernière classique de l’année !

Concernant les rumeurs de fusion, il semblerait que la voix de la raison l’emporte finalement pour le trio Hertogh, Farr et Erpicum approchés par des équipes à l’échelon supérieur. Erpicum lui-même aurait annoncer la couleur à ses coéquipiers en martelant son slogan devenu célèbre: Bros before pros.

Effort, vélo, amitié

Pour beaucoup, la saga Farr-Erpicum représente bien plus qu’un défi sportif. C’est l’histoire de deux papas trentenaires passés de coureurs du dimanche à accros de la petite reine en l’espace d’une saison. Malgré les tensions, les provocations et parfois les coups bas, cette rivalité les tire vers le haut. À coup de passion et d’amitié.

Pour le plus grand bonheur de leur équipe et de tous les amoureux du vélo-plaisir, il se livreront à la Magerotte une des plus grandes batailles de l’histoire du peloton Continental.

Le prono’ de Philbon, expert de la rédaction:
Malgré un entraînement conséquent et un sérieux avantage technologique, Erpicum pourra difficilement rivaliser à la pédale face aux capacités physiques hors normes du Dauphin de Beersel. Ce dernier a d’ailleurs clairement marqué sa supériorité sur l’ascension du « col des grottes » lors de la reconnaissance en équipe. Farr part donc favori. Mais c’est justement ce statut qui risque de le rendre fébrile car il devra porter le poids de la course. Erpicum sort d’une préparation spécifique de deux semaines. Il roule intelligemment et il a démontré qu’il était capable de suivre le Dauphin dans la moyenne montagne. Avantage Farr, mais rien n’est joué.

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